Santa Cruz – 6 novembre 2021.
Rafael Cortez, prof à L’UMSA La Paz, m’attend à l’aéroport avec Brenda et Luis, deux étudiants qui vont étudier les ressources hydrogéologiques du bassin de Samaipata (~ 120 km²). Christophe Ranque, agronome français expatrié depuis 12 ans, nous accueille dans cette petite ville de 5000 hab. au cœur des montagnes préandines. Très branché sur la préservation du milieu naturel, Christophe est notre contact local pour le projet AEP identifié avec lui en 2019.
Le programme de cette mission préliminaire est d’organiser le travail des étudiants sur le terrain avec Rafael : levers géologiques, hydrologiques, inventaire du dispositif AEP,... Pendant une semaine, nous allons parcourir les montagnes alentours (alt.1600 à 2200 m). L’ambiance est tropicale, avec des bois denses, pas faciles à pénétrer avec les épineux et autres lianes de ronces. Les sommets sont couverts de pâturages maigres.
Nous suivons un technicien de La Florida (comité de l’eau) et Christophe sur un sentier se faufilant dans dans un ravin encaissé, jusqu’à une prise d’eau. Le débit du ruisseau est maigrelet. L’eau envoyée dans un tuyau en PVC n’est pas de qualité, polluée par les animaux, les cultures et le brûlage. 2 prises d’eau sur 3 sont comme cela. En crue, les ruisseaux sont chargés de terre.
Il y a bien quelques sources, mais la vétusté des captages et l’absence de protection font douter de leur salubrité. Par ailleurs, 3 forages exploitent la nappe alluviale sous la zone urbaine. Leur pompage fluctue en période sèche, et l’un d’entre eux présente une salinité bizarre, qui rend l’eau insalubre.
Le constat, c’est qu’il y a de l’eau, mais la quantité prélevée avec le dispositif existant est insuffisante en saison sèche dans certains quartiers. Par ailleurs, l’eau doit passer par la station de traitement récente pour être dépolluée. Dès lors, un bilan des ressources aquifères superficielles, mais surtout souterraines, et un un état du dispositif existant sont nécessaires avant d’élaborer un schéma d’approvisionnement. C’est l’objectif de la mission de l’UMSA (contrat avec HSF).
La géologie est un peu monotone : des formations grèseuses avec des lits de pélites et quelques niveaux repères de conglomérats. La structure, faite de larges ondulations coupées par des failles axiales ou transverses, n’est pas compliquée, mais souvent masquée par une couverture quaternaire en partie basse du bassin hydrologique.
Une réunion en mairie marque le lancement de ce projet. Le maire prononce un discours de bienvenue et de soutien. Les différents acteurs s’engagent à s’investir dans le projet. Christophe explique son rôle de coordinateur que lui a confié HSF. Rafael parle du programme des étudiants qu’il va superviser en tant que tuteur. J’expose les grandes lignes du projet, à savoir :
- Étude des ressources (UMSA)
- Projet technique et financier (HSF)
- Recherche de financement (HSF)
- Travaux pilotés par HSF, avec asistance de La Florida, le SYMCRAU.
La Florida souhaite établir une « convention de coopération » avec HSF et le SYMCRAU. Une cartographie de l’occupation des sols (Maya M.) doit faire l’objet d’un avenant au contrat de Alianza.
Le séjour d’une semaine à Samaipata a été dense, avec des échanges riches, dans une ambiance conviviale. Un soutien sans faille des différents acteurs semble se dégager pour faire avancer ce projet.
La Paz - 13 novembre 2021
Je retrouve Anne Bialeck, une française alpiniste qui dirige une agence de trekking. Anne, que je connais depuis 13 ans, m’a parlé du village de Una, d’où est originaire son mari Hugo Ayaviri, bolivien et guide de haute montagne. Una, située à 3h de route de La Paz à 3700 m d’altitude, manque d’eau en période sèche et ceci malgré la proximité des glaciers . Les habitants prélèvent l’eau dans un canal d’irrigation. Ainsi commence l’histoire de ce projet dans la cordillère des Andes.
Le projet dépasse largement Una, car maintenant 14 villages sont concernés, soit au total 3000 habitants vivants entre 2800 et 4200 m d’altitude sur des pentes abruptes dominées par l’imposant massif enneigé de l’Illimani (6430 m). La fonte des glaciers alimente des petites rivières (rios) encaissés, qui tarissent en hiver avec le gel et la sécheresse. Seuls quelques replats, plutôt des pentes moins fortes, permettent les cultures en terrasses (légumes variés et fruits en partie basse) irriguées par un réseau de canaux qui remonte à l’époque inca.
Bien que l’eau paraisse abondante avec les glaciers, l’eau domestique est prélevée en période sèche (5 à 6 mois par an) dans ces canaux pollués par le bétail, les cultures et les eaux usés. Quelques sources sont captées, non protégées et à débit très fluctuant.
Les paysans aymaras vivent au rythme des cultures et de l’élevage (vaches, lamas, moutons), loin de tout, abandonnés par le pouvoir, isolés régulièrement en saison des pluies par des éboulements. Cette population aux traditions encore bien ancrées a peu de ressources marchandables et de ce fait pas les moyens de changer de pratiques, d’accéder à une eau propre ou d’évacuer les eaux usées. Quelques familles vivent de petites exploitations minières artisanales, aux conditions difficiles.
La mission exploratoire avait deux objectifs :
- faire le point sur les ressources en eau (sources pérennes connues ou non, ruisseaux,… potentiel hydrogéologique), le réseau AEP existant (captages, conduites, réservoirs,…),
- s’imprégner du contexte tant physique (relief, géologie, accès, occupation des sols, érosion,…) que socio économique (ressources marchandables, gestion de l’eau potable et de l’irrigation, coutumes,…).
Le premier point a fait l’objet d’une collecte de données confiée à Anne et Hugo : identifier les sources et mesurer leur débit à 3 mois d’intervalle (contrat avec HSF). Ils ont parcouru tous les territoires communaux, rencontré la population, expliqué notre démarche aux autorités des villages,… Ce dernier point était important. Ce travail synthétisé sur des vues aériennes m’a permis d’avoir une bonne vision du contexte avant d’aller sur place.
Anne et Hugo m’emmènenet sans tarder en 4x4 à Una. La piste sinueuse défoncée serpente et se fraie un chemin sur les pentes abruptes du versant ouest de l’Illimani. Gare aux précipices ! Les écarts ne pardonnent pas. Arrivée au village vers midi. Surprise : une foule de femmes (cholitas) et d’hommes en costumes traditionnels nous accueillent avec des colliers de fleurs, des roses parfumées, sous une pluie de pétales blancs et au son d’une « zamponada ». Quelle réception ! Nous sommes ébahis.
Plus de 150 personnes nous attendent, venus de tous les villages alentours. Ils veulent nous toucher les mains, souhaiter la bienvenue,… C’est complètement fou !. « C’est trop pour le lancement d’un projet d’eau potable » dis-je à Hugo. « T’inquiète pas Alain, c’est leur façon de montrer qu’ils sont contents de l’attention qu’on leur porte pour avoir de l’eau » dit-il. Et d’ajouter : « je n’ai jamais vu çà depuis que je suis né ! ». Anne : « c’est incroyable, nous sommes accueillis un peu comme le messie ». Bref, laissons-nous faire.
Des cholitas nous parent de jolis ponchos rouges, d’un chapeau et nous invitent à danser. Ouh la la ! Pas facile de suivre le rythme des musiciens à cette altitude,… Je joue le jeu. Les villageois rigolent,… J’ai les jambes qui flageolent.
Ensuite nous nous asseyons sous un portique fleuri, devant 3 assiettes bien garnies (viande, patates, riz, œufs, légumes,…) et une caisse de cervezas (12 bières), pour chacun !... « Il faut manger pour faire plaisir » me dit Hugo. Les représentants de chaque village font un petit discours de bienvenue au micro, en aymara ! Hugo nous traduit. C’est à son tour de dire combien il est heureux d’aider son peuple avec Anne et Alain, afin d’améliorer leurs conditions de vie. « C’est une chance, dit-il, d’avoir une ONG française qui va prendre en charge un projet d’alimentation en eau potable et tout le monde sera servi ! »
Je prolonge son discours en expliquant ce que nous envisageons : un projet technique avec un schéma proposé par HSF en concertation avec la population, une recherche de financement,… puis la réalisation des travaux avec une participation active des villageois. J’insiste sur ce point, sachant que l’entente entre les villages n’est pas top.
Nous quittons les lieux sous les Aya ya… aya ya… et la musique dissonnante des tarkas, sortes de flûtes carrés en bois.
Le lendemain matin, nous partons tous les trois avec deux jeunes villageois arpenter la montagne. Il nous faut repérer précisément les captages et les sources connues, identifier d’autres sources. Les plus intéressantes sont éloignées et en altitude, entre 4200 et 5000 m. Je marche doucement, de peur d’être affecté par le soroche (mal d’altitude). La source la plus haute est située au pied d’une moraine à 4900 m d’alt., à côté d’une mine d’antimoine aurifère. Un des mineurs brandit une pierre qui révèle quelques minuscules paillettes dorées. Oui, c’est bien de l’or !... Ouah !...
Anne nous quitte et les jours suivants, je parcours avec Hugo les territoires d’une dizaine de villages, cartes et carnet de croquis à la main. Hugo passe beaucoup de temps à palabrer en aymara, expliquant avec bienveillance notre travail. Il m’a été d’un précieux secours.
Il a été constaté rapidement que les villages à l’aval présentent beaucoup moins d’eau que les villages à l’amont. Aussi, l’approvisionnement de l’aval dépend-il du bon vouloir des paysans des villages à l’amont. Ceci est source de conflit depuis longtemps pour le « riego » (irrigation),… Par ailleurs, ils ont peur que le projet détourne leur eau,… Hugo explique bien que le projet ne concerne que l’eau destinée à la consommation domestique et que le riego existant ne serait pas touché. Pas facile de faire admettre que les deux sont bien séparés. Finalement, la population semble avoir compris. Les villages s’engagent à s’entraider pour qu’ils aient tous de l’eau potable et d’autre part, à fournir la main d’œuvre le temps des travaux.
Nous quittons la région sous les « aya yaaa », avec une bonne collecte d’infos et des images plein la tête. Le retour par Palca, « chef-lieu » de la province », est long. Nous passons un col à 4600 m dans la tempête de neige. Le 4x4 de Hugo se fraie un passage entre les blocs tombés. Des ruisseaux en crue et une coulée de boue ont envahi la piste. Bref, nous sommes bien contents d’arriver à la Paz sans incident.
Avant de terminer, je dois dire que j’ai été heureux de rencontrer Hugo, un homme simple, défenseur de la nature et du peuple aymara. Ce qui m’a frappé chez lui, c’est son humilité face à l’exploit qu’il a réalisé 2 mois auparavant : l’ascension du Broadpeak (8070 m) puis du K2 (Karakoam, 8611 m), sans oxygène et sans porteurs. Au-delà de cela, il a ramené, avec son compagnon de cordée polonais, le corps d’un grimpeur pakistanais qui avait chuté un mois auparavant. Un sauvetage qui été salué par les autorités du pays. Le soir, il m’a conté ses joies et ses mésaventures qui m’ont replongé dans les récits des grandes conquêtes himalayennes,…
Je ne vais pas cacher que les petits désagréments existent, inhérents à ce type de mission : les temps à attendre,…défilant sans rien faire, les malentendus teintés de perversité (je suis riche,…), l’insistance d’un « boit sans soif ». Il est parfois difficile de se faire comprendre, d’être à l’écoute de l’autre qui n’a pas la même façon de penser,… Bref, je retiens de cette population aymara leur mode de vie simple, sans superflu, les traditions authentiques, les rites, la chaleur de leur accueil, des échanges joyeux.
Visite à Chunavi
En marge de ces deux projets, une visite à Chunavi était incontournable. Les gens du village, affairés à construire un local pour leur comité de l’eau (EPSAS), m’ont remercié une fois de plus de l’aide apportée par HSF durant 4 ans.
« Maintenant, toutes les maisons ont de l’eau !» me dit Andres Quispe. Nous visitons quelques installations. Surprise : ils ont réhabilité la source Pachachani en construisant un collecteur recevant séparément l’eau de Apoco qui stoppait l’arrivée de celle de Pachachani. C’est simple et ça marche ! Je me suis fait tout petit,... Il faut admettre que le bon sens paysan a marqué des points. Bref, ils ne nous en veulent pas du tout, mais sont fiers de leur coup !
Ceci dit, les autorités du village souhaitent augmenter le débit arrivant au réservoir 2015 et livrer de l’eau à 2 villages à l’aval, via le réservoir ancien. Pour cela, l’idée est de prélever de l’eau dans le lac Tuni appartenant à « EPSA La Paz ». La relation conflictuelle avec La Paz semble avoir disparu, aussi cette solution (émise par HSF en 2015,…) apparait-elle évidente. Une demande va être envoyée à HSF pour poser 7 km de tuyau d 3 mètres cube.
Cette mission m’a apporté bien des enseignements sur vie bolivienne, la divergence des points de vue, la détresse des paysans abandonnés par le pouvoir, le respect des traditions,… J’espère simplement avoir rapporté suffisament d’informations pour avancer sur ces deux gros projets : Samaipata et Una-Q.. Cela devrait occuper quelques uns à HSF, durant plusieurs années.
Alain Malatrait